Les Cahiers de la Ville Responsable

Financement participatif : et si les citoyens finançaient leurs villes ?

Le financement participatif, plus connu sous le terme anglo-saxon de crowdfunding, est une pratique de plus en plus répandue. Que recouvre-t-elle exactement ? Comment expliquer son succès croissant, qui fait qu’on voit aujourd’hui des citoyens s’engager d’un simple clic dans des projets d’équipement ou d’aménagement.

Enquête sur un phénomène qui commence à toucher le développement urbain.

Le financement participatif : et si les citoyens financaient leurs villes ?
Le principe du « financement par la foule », très à la mode actuellement, est de permettre les levées de fonds en ligne. L’objectif est de mobiliser le soutien, par les internautes, d’initiatives de plus en plus nombreuses et diverses. Qu’il s’agisse de projets artistiques, journalistiques, économiques ou citoyens, chacun peut y trouver son compte. Le phénomène a beau sembler récent, il est en fait l’héritier d’une pratique ancestrale : le mécénat. C’est pour cette raison qu’il a été longtemps réservé au domaine artistique (films, spectacles, musique…).

Pourquoi le mouvement prend-il aujourd’hui de l’ampleur ? La nouveauté n’est pas tant le concept que sa démocratisation, par le biais d’Internet notamment, et ses nouveaux domaines d’application : du financement politique à l’aménagement urbain. Le processus se distingue des autres formes de financement par sa transparence ainsi que par sa capacité à s’adresser au plus grand nombre.

Un nouveau marché porteur

C’est sur le web, par nature participatif et ouvert, que les plates-formes de crowdfunding se multiplient : Kisskissbankbank.com et Ulule en Europe, ou encore Kickstarter aux États-Unis, sont les nouveaux acteurs du phénomène.
Selon la société de recherche Mas Solution, 2,7 milliards de dollars ont été investis par les citoyens dans des projets participatifs en 2012, dont 946 millions en Europe. Les plates-formes ont ainsi pu financer avec succès plus d’un million de campagnes.

Comment ça marche ?

Les plates-formes sont des intermédiaires qui présentent aux internautes des projets pré-sélec- tionnés, avec un montant à réunir et une échéance fixés à l’avance. En France, le leader Ulule a ainsi permis de lever 6 M€ en 2012, et un nombre conséquent de projets a pu voir le jour grâce à cela.

Le financement direct, par des citoyens lambda, de projets qui leur tiennent à cœur s’est ainsi démocratisé en même temps que l’accès aux ressources numériques. Aujourd’hui, grâce aux plates-formes, n’importe qui peut financer simplement, en quelques clics, ne serait-ce qu’en donnant un euro, le projet qui lui plaît, qui l’intéresse ou qui améliorera son quotidien.
Les recherches de Mas Solution, basées sur 308 plates- formes de financement participatif à travers le monde, mettent également en évidence que 30 % des investissements vont à des projets sociaux ou philanthropiques (humanitaires, associatifs, écologiques) et 20 % à des projets musicaux ou artistiques.

Et le reste ?

Des projets urbains financés par les usagers

Le financement participatif irrigue aujourd’hui de nouveaux secteurs, et c’est là la nouveauté. Après le crowdfunding politique initié lors de la campagne électorale de Barack Obama en 2008 (500 millions de dollars récoltés auprès de ses sympathisants), le finan- cement participatif se propage aujourd’hui aux projets d’aménagement urbain. De nombreuses initiatives originales ont ainsi pu voir le jour à travers le monde. Le phénomène s’est développé en lien avec la crise économique, apparaissant comme un moyen de pallier le manque de financements traditionnels.

Les acteurs publics et les opérateurs urbains n’ont en effet plus toujours la capacité de faire face seuls à l’ampleur et à la complexité des défis urbains. Pour y remédier, il est essentiel de mobiliser les ressources et les savoirs, les énergies et la volonté de tout un chacun, citoyens y compris. Différentes plates-formes dédiées aux projets urbains ont ainsi fleuri partout dans le monde, à l’image d’UrbanKit au Chili ou de Spacehive au Royaume-Uni. Mais c’est encore sur les plates- formes traditionnelles que l’on retrouve les projets les plus surprenants, comme la +Pool de New York.

Cette forme de financement alternatif permet à des réalisations plus originales, innovantes ou différentes de voir le jour, mais entraîne aussi une implication accrue du citoyen dans l’élaboration du projet. Bien plus que dans toute autre forme de participation

Un don contre une planche ou une plaque à son nom

C’est l’exemple réussi de +Pool, un projet de piscine flottante et auto-filtrante sur l’East River à New York. Initié sur la plate-forme Kickstarter.com, le projet a levé à ce jour près de 250 000 € grâce à ses quelques 4 500 donateurs. Et c’est une vraie réussite, car chaque étape repose sur une campagne de crowdfunding mobilisatrice. Ainsi, en échange d’une plaque nominative dans la future piscine, les souscripteurs de ce projet ont déjà permis le financement d’un prototype pour tester le système d’autofiltration. Grâce au soutien initial des internautes, auquel s’ajoute l’appui de politiques locaux comme celui de l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, New York City arborera bientôt une piscine extérieure flottante à quelques encablures du pont de Brooklyn.

Différents types de projets urbains sont ainsi soumis au financement participatif. Parfois il s’agit de projets innovants, tout droit sortis de l’imagination de citoyens (comme la +Pool ). Dans d’autres cas, il s’agit davantage d’un besoin de la collectivité que le pouvoir public ne peut ou ne souhaite pas financer. Si les moyens manquent, quoi de plus naturel que de demander la participation des futurs usagers ?

L’exemple de Rotterdam est particulièrement significatif de ce point de vue, avec le projet « I make Rotterdam ». La ville était depuis longtemps coupée en deux par une voie rapide et une voie de chemin de fer. Les habitants des quartiers Nord, enclavés, réclamaient de longue date un aménagement qui permette aux piétons de circuler depuis et vers le centre ville. Face à la lenteur de la municipalité qui estimait qu’il faudrait au minimum 30 ans pour financer un tel projet, plusieurs cabinets d’architecture ont décidé de se réunir pour le mener à bien. Pourquoi attendre 30 ans pour un équipement indispensable aujourd’hui ? Mais comment faire sans argent public ? Les architectes ont eu l’idée de lancer un appel aux dons sur une plate-forme de crowdfunding, avec ce slogan convaincant : « Plus vous donnez, plus long est le pont ».
Le « Luchtsingel » à Rotterdam
Le « Luchtsingel », pont aérien en bois, a ainsi amorcé sa construction en 2012, grâce à la générosité des habitants. D’une longueur de 18 mètres aujourd’hui, l’ouvrage a récolté plus de 100 000 € pour sa réalisation, et le projet continue ; le pont s’allonge au gré des contributions. Le principe est simple : il est possible d’investir dans différentes portions du pont, autre- ment dit de payer pour des planches en bois, pour une somme allant de 25 € à 1 250 €. Chaque investisseur se voit récompensé par une planche gravée à son nom. En effet, il ne s’agit pas d’un « investissement » au sens strict du terme, car le pont n’appartient pas aux habitants, mais il s’agit d’un don pour un bien collectif.

Aurélie Pionnier