Les Cahiers de la Ville Responsable

Le Marais : modèle typique de gentrification

Un hôtel particulier dans le Marais

Le concept de « gentrification », développé dans le monde anglo-saxon (le terme vient de gentry, « petite noblesse » en anglais) fait son apparition en France dans les années 90.
Le terme a été créé en 1964 par la géographe britannique Ruth Glass, dans une recherche sur les changements sociaux à Londres. Elle s’interrogeait alors sur les raisons qui poussaient des ménages issus de la classe moyenne, à s’installer dans certains quartiers dégradés du centre-ville, plutôt que d’emménager en banlieue, le modèle dominant à l’époque pour toute la classe moyenne.

La référence historique parisienne du sujet demeure le quartier du Marais. Depuis, un certain nombre de quartiers ont connu la même évolution (Bastille, Les Halles, plus récemment le canal Saint-Martin…), mais le Marais semble être le quartier exemplaire dans ce processus de transformation.

Dans le Paris d’après-guerre, le Marais était un quartier constitué d’îlots totalement insalubres. Dans les années 70 encore, certains immeubles relevaient du quart-monde : des courettes entières étaient envahies d’ordures, la misère était grande dans certains hôtels particuliers.
Dès les années 60, un tournant majeur et irréversible va bouleverser le quartier : la loi Malraux est votée en 1962. Elle consiste à définir des secteurs dans lesquels le patrimoine historique doit faire l’objet de restaurations et de remise en valeur. Cette loi induit une nouvelle vision du patrimoine, consacrant la valeur des choses anciennes. Le Marais s’est trouvé valorisé par cette loi : la richesse architecturale de ses hôtels particuliers fait dès lors l’objet de toutes les attentions.

Le vrai progrès de cette loi réside aussi dans la volonté de conserver les tissus sociaux et économiques de ces quartiers historiques. Il sera désormais moins concevable de détruire systématiquement, et l’on préfèrera la réhabilitation à la rénovation qui deviendra l’ultime recours dans des situations extrêmes.
A la fin des années 70, le Marais va profiter de l’intervention de l’état dans le quartier des Halles. La ZAC des Halles est créée en 1969, constituée d’un secteur ouest (l’actuel forum et quelques îlots adjacents) et un secteur est (plateau Beaubourg – l’actuel Centre Pompidou – l’actuel quartier de l’Horloge et l’« îlot Quincampoix »).
En 1977, la gare RER de Châtelet – Les Halles est inaugurée. La symbolique de cette gare est fondamentale puisqu’elle donne un autre point de centralité à Paris en matière de transports. Cette revalorisation des Halles par son accessibilité, concerne tout le centre rive droite de Paris, et notamment le Marais qui jouxte les Halles.

Du côté des logements, les premières réhabilitations des années 60 vont accentuer le départ des ouvriers et artisans du quartier, qui sont peu à peu expulsés ou ne peuvent plus payer les nouveaux loyers pratiqués.
Une nouvelle population investit alors le quartier à partir des années 80, notamment une forte proportion d’homosexuels, visant des lieux en mutation et ayant un pouvoir économique suffisant pour accéder ici aux logements. La forte valeur historique du patrimoine a attiré les investisseurs. La dynamique immobilière enclenchée dès ce moment en a fait un des quartiers parmi les plus chers de la capitale (prix moyen du m2 aujourd’hui : 8 500 euros).

En quelques années, le Marais se transforme radicalement : il devient un lieu de tourisme cosmopolite.
Sa réputation s’exporte dans le monde. Des étrangers fortunés investissent en y achetant des appartements secondaires. Les Parisiens y pratiquent la promenade dominicale en faisant du shopping dans des boutiques haut de gamme. Le quartier juif, autrefois isolé et considéré comme dégradé se trouve envahi de touristes et de nouvelles enseignes de mode. Même le fameux hammam de la rue des Rosiers a été détruit pour accueillir une boutique de vêtements.
C’est un quartier « vitrine », qui est également critiqué pour son aspect «musée marchand». C’est un décor urbain somptueux, temple de la consommation festive et de luxe.

Bénédicte de Lataulade