Les Cahiers de la Ville Responsable

Quand la ville s’enterre

Loin du développement classique que nous connaissons en France, certaines villes dans le monde font des choix d’extension originaux.
Qu’elle bute sur des obstacles naturels (montagne, mer, etc.), que son étalement soit déjà très important, que l’installation des équipements dont elle a besoin consomme trop d’espace, deux solutions s’offrent à une ville qui veut grandir : grandir par le haut ou grandir par le bas.

Pour limiter la construction d’immeubles en hauteur ou pour faire face à des conditions climatiques difficiles ou répondre aux enjeux du développement durable, certaines villes font le choix de construire en souterrain.

C’est un schéma que l’on retrouve dans les pays froids et dans les villes dont le développement ne peut se faire que dans le sous-sol. Si au Canada, Montréal est l’exemple le plus connu, la Finlande conduit également une démarche exemplaire à Helsinki tandis que la Russie engage des chantiers importants à Moscou et qu’un projet très original est proposé pour New York.

Découvrez quelques exemples de villes qui s’enterrent.

Helsinki, l’écologique
Helsinki, ville péninsulaire, s’étend sur une lagune et sur des îles. Rapidement contrainte par un sol peu favorable à la construction en surface et par un périmètre restreint, la capitale finlandaise utilise son espace souterrain depuis les années 1920.


Ce développement est rendu possible par la bonne qualité de la roche sur laquelle repose la ville qui lui permet de construire de grandes infrastructures souterraines pour un coût finalement peu élevé.
C’est ainsi que la ville compte déjà plus d’une centaine de lieux de loisirs sous terre : piscines, centres commerciaux, patinoire et même une cathédrale !

De même, les systèmes de chauffage et d’eau chaude sont plus qu’enterrés : ils sont aménagés dans des galeries souterraines, accessibles directement par les véhicules de maintenance, ce qui permet des interventions plus commodes qui n’interrompent pas la circulation par exemple.

Dicté par la nécessité, ce schéma urbain répond aussi à une véritable prise en compte des problématiques écologiques par les Finlandais. C’est pourquoi la ville s’est dotée d’un plan directeur de l’espace souterrain qui organise l’utilisation actuelle et future des sous-sols.
D’ici 2020, 400 locaux souterrains d’un volume de 9 millions de m3 seront ajoutés aux espaces existants.

Moscou, l’hyperactive
Moscou est une ville extrêmement dense (une fois et demie plus qu’à Hong Kong par exemple) et très étalée. Les temps de trajet quotidien, dans les transports en commun saturés et dans les bouchons sont devenus insupportables pour les 12 millions d’habitants.

La municipalité a donc décidé en 2010 de lancer un vaste chantier souterrain pour soulager la ville extérieure. Ainsi sous la grande place Pouchkine, un centre commercial et un parking vont voir le jour prochainement.

À plus longue échéance la municipalité envisage même de développer une seconde capitale souterraine sous la capitale extérieure : boulevards, bureaux, restaurants, magasins, centres de fitness, cinémas, musées.

La ville se construirait ainsi en étages sous la terre sur une superficie prévue de 1 million de m2. De la surface à moins 20 mètres seraient créés de vastes couloirs pour piétons, des magasins et des multiplexes et de moins 20 mètres à moins 40 mètres des entreprises d’entreposage et des parkings.

Moscou a d’ores et déjà une bonne expérience en matière de construction sous terre avec le tunnel de Lefortovo, le 5e plus long tunnel d’Europe, qui plonge à 30 mètres de profondeur. Le renouvellement de l’air, la gestion de l’éclairage, la sécurité incendie sont donc déjà au point.

La ville envisagerait même de relier les nombreuses caves inutilisées sous les immeubles moscovites pour créer des galeries souterraines qui permettraient aux piétons de rejoindre les stations de métro sans même sortir des bâtiments !

New York, la futuriste
A New York, ville en constant bouillonnement, le projet « Delancey Underground » conçu par Dan Barasch et James Ramsey propose de transformer un ancien terminal de tramway du Lower East Side en un parc public souterrain. La Metropolitan Transit Authority, propriétaire du terminal construit en 1903 et fermé depuis 1948, souhaite en effet réutiliser cet espace.

Le terminal aujourd'hui - Crédits : James Ramsey & Dan Barasch
D’une superficie de 5 570 m2, le parc offrirait des espaces d’expositions, un marché de produits bio et des programmes éducatifs. Le projet est soutenu depuis 2011 par l’entreprise de recherche de fonds Kickstarter qui a recueilli les 155 000 $ investis par 3 300 donateurs.


Inspiré par le succès du High Line, le parc urbain suspendu de Manhattan ouvert en 2009, un prototype du parc souterrain doit être proposé fin 2012 pour convaincre de la viabilité de sa technologie solaire.

En effet, le succès d’un tel parc repose sur la capacité technique de ses concepteurs à assurer un éclairage naturel du lieu, renforcé ici par l’éclairage artificiel nécessaire à la bonne croissance des plantes et des arbres. Le recours à des puits de lumière innovants est à l’étude.


Et en France ?
Si le développement de la ville en souterrain se fait aujourd’hui plutôt dans des pays qui subissent des conditions climatiques rigoureuses, la réflexion peut être déclinée dans des pays plus tempérés. C’est en partie le cas à Shanghai en Chine comme à Arnhem aux Pays-Bas.

En France, les surfaces agricoles disparaissent au profit des espaces urbanisés, et le foncier disponible en ville se raréfie et est très convoité. La conception d’espaces sous terre permet donc l’implantation d’équipements indispensables au fonctionnement des villes mais sources de nuisances ou nécessitant de grandes emprises : usines de tri des déchets, parkings pour les véhicules particuliers, terminus des transports en commun, etc.

Une telle démarche non seulement limite la destruction des espaces naturels ou verts mais également conserve des espaces de grande valeur pour des opérations plus rentables : espaces de vie, logements, bureaux, loisirs, etc. En outre, la proximité entre l’offre et la demande permet de réduire les coûts de transport de marchandises en ménageant des espaces dédiés à la logistique, aujourd’hui repoussée en périphérie.

Néanmoins, de tels aménagements ne sont pas envisageables partout. La qualité du terrain est primordiale pour éviter tout risque d’effondrement ou de pollution des nappes phréatiques. Ainsi le sous-sol parisien déjà qualifié de « gruyère » ne pourrait pas supporté d’être encore creusé.

L’aboutissement théorique de tels projets pourrait être de construire des logements en souterrain, des architectes utopistes y réfléchissent déjà. Mais la viabilité sur le très long terme de tels espaces reste à prouver et les conséquences sur les habitants peuvent être questionnées.

Quelles sont les conséquences à long terme du manque de luminosité naturelle pour les travailleurs et les usagers de ces lieux ? Si les populations nordiques sont mieux adaptées par le climat local à une faible luminosité, des populations plus latines ne pourraient-elles pas en souffrir ?
Quels liens peuvent rester avec le milieu naturel dans des espaces si artificiels, lien déjà réduit à peau de chagrin dans les espaces urbains ?

L’ouverture de la réflexion sur cette forme urbaine à des biologistes, des sociologues ou des psychologues pourrait permettre de répondre à ces questions.

L’espace souterrain représente donc une opportunité de développement intéressante partout dans le monde urbanisé mais dont la mise en œuvre doit faire l’objet d’une réflexion pluridisciplinaire, à grande échelle, à long terme.

Géraldine Brochon