Les Cahiers de la Ville Responsable

Internet : un catalyseur pour la concertation locale ?

Si la France ne présente pas le taux de connexion au web le plus élevé d’Europe, la démocratisation de l’usage d’Internet n’en est pas moins une réalité que les collectivités locales commencent à prendre en considération. Qu’il s’agisse de présenter un projet ou de solliciter l’avis des citoyens, Internet permet une autre forme d’échange entre les institutions et leurs publics.

Des méthodes virtuelles d’information et d’échange au développement récent

Tenir compte de l’avis des citoyens dans les projets publics, tel est l’objet de la concertation locale. Si l’interactivité que permet Internet semble tout indiquée pour ce type d’exercice, l’utilisation des médias sociaux et la création de sites spécifiques pour une concertation restent des pratiques récentes et encore non systématiques. Le fait est que la France a souffert, ces dernières années, d’un retard en matière de connexion Internet, ce qui a rendu plus difficile son utilisation par les collectivités locales : en 2010, 30 % des foyers n’étaient toujours pas équipés et la « fracture numérique » a été largement dénoncée à la suite du rapport Attali en 2008. Le recours plus massif aux stratégies en ligne dans la concertation locale est néanmoins perceptible ces dernières années. L’utilisation d’Internet pour la concertation locale peut prendre différentes formes, plus ou moins propices à l’échange. En effet, certaines collectivités ou certains maîtres d’ouvrage se limitent à la diffusion d’information via Internet (mise à disposition de documents, retransmission en direct des débats, billets ou articles annonçant les réunions publiques, cartographie interactive…), tandis que d’autres sollicitent le dialogue virtuel. Hormis la création de sites spécifiques, les « forums » sont une méthode souvent mise en place sur les sites de concertation ou de collectivité : ils permettent l’information des citoyens sur un projet, le recueil de leurs réactions et la réponse à leurs questions. De nombreuses autres initiatives sont mises en oeuvre : les questionnaires disponibles sur les sites ou sur les pages Facebook, les « chats » en direct ou le dialogue via les réseaux sociaux (Twitter, Facebook), la participation à des réunions publiques via Internet…

Preuve que la concertation locale trouve un bon écho sur le web, de nombreuses initiatives de plus en plus novatrices voient le jour

En 2010, la mairie de Roanne a proposé un dialogue en temps réel avec Laure Delaroche, maire de la Ville, via un « chat » avec les citoyens au sujet du projet d’intégration urbaine Coeur de Cité. Une fois que le temps d’expression était écoulé, la conversation était archivée sur le site et disponible à la consultation par d’autres habitants. A Rennes, toujours en 2010, c’est un projet d’urbanisme immersif nommé Gulliver, expérience innovante de médiation avec les citoyens, qui a été mené à bien dans le cadre de l’aménagement du quartier de Maurepas. A l’image des jeux en réseau, le service permettait, depuis un ordinateur, de naviguer grâce à un avatar dans la maquette en 3D du projet et un système de chat intégré (texte, voix et vidéo) permettait aux visiteurs de dialoguer avec les élus et les autres avatars.

Des actions en ligne qui facilitent la mobilisation

La concertation utilisant Internet dispose de plusieurs avantages par rapport aux méthodes de concertation classiques. En termes de diffusion de l’information, la cible touchée par la communication sur la concertation est élargie : les documents de la concertation sont plus facilement accessibles, il n’est plus nécessaire de se déplacer en mairie ou aux réunions publiques pour se les procurer. Les documents comme les contributions sont ainsi archivés, ce qui se révèle utile sur des projets qui s’étendent sur plusieurs années. Pour les processus de concertation, Internet permet d’élargir la participation à des cibles traditionnellement absentes des réunions publiques. L’organisation d’une concertation en ligne permet ainsi de limiter un des principaux écueils des concertations classiques, soit la surreprésentation des retraités et des associations. La concertation en ligne permet aussi aux personnes qui craignent de s’exprimer en public de donner leur avis librement. Cette liberté est d’ailleurs un des risques de l’exercice car elle donne la possibilité de se « défouler » de manière anonyme. C’est la raison pour laquelle un modérateur doit être désigné avec pour tâche de recadrer les débats et de censurer les éventuels débordements.

Quelle qualité pour les contributions ?

La principale question reste d’évaluer si la concertation en ligne offre des résultats aussi probants qu’une concertation classique. Si la diffusion d’information et la participation sont sans aucun doute facilitées, la participation est encore rarement dense, variée et qualitative dans les faits. La qualité des contributions apportées par les citoyens est, elle aussi, variable. La concertation en ligne permetelle à tous les conflits de s’exprimer ? Quel usage est fait des avis recueillis par les maîtres d’ouvrage ou les collectivités ? A l’heure actuelle, la plupart des maîtres d’ouvrage et des collectivités qui ont une démarche participative se cantonnent à des démarches timides.

Des actions complémentaires pour plus d’efficacité

Si la stratégie de concertation en ligne est indispensable, elle ne peut être mise en oeuvre indépendamment d’une stratégie de communication globale. Mobiliser le public pour une concertation sur le web doit être soutenu par une stratégie de communication classique (tractage indiquant l’adresse du site, les jours des débats en direct…) et s’avère réellement efficace si elle est organisée conjointement avec la concertation via les réunions publiques. Pour que la concertation en ligne soit fructueuse, de nombreux éléments sont à prendre en considération afin de s’assurer de toucher les bonnes cibles et de recueillir des contributions de qualité. Egalement importantes sont la prise en compte de ces avis et sa mise en valeur pour que le citoyen puisse constater que sa participation n’a pas été vaine. L’ambition de l’organisateur de la concertation en ligne a donc, comme pour la concertation classique, un fort impact sur sa réussite.

Par Alexandra Merlot et Clémentine Berlioz